Les mystères du sommeil 🌙

Dormir pour apprendre.
Dormir pour oublier.

Cet article a été rédigé par le chercheur Thomas Andrillon

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Jackie Martinez endormie Mark Sebastian/Flickr, CC BY-SA Thomas Andrillon, École Normale Supérieure (ENS)

Qui ne rĂŞverait pas d’apprendre en dormant ? Cette langue Ă©trangère, par exemple, Ă  laquelle on s’est toujours promis de se mettre. Et si ce rĂŞve Ă©tait, non seulement possible, mais, qui plus est, exaucĂ© chaque nuit sans que nous nous en doutions ? Car votre cerveau apprend pendant votre sommeil, ou plutĂ´t, il consolide les connaissances apprises. De cette façon, nous nous rĂ©veillons chaque matin avec des souvenirs plus forts mais aussi un cerveau prĂŞt Ă  apprendre de nouveau.

Sommeil et mémoire sont liés

Quintilien, le rhĂ©toricien romain, remarquait dĂ©jĂ  au Ier siècle : « [Ce] fait curieux, et dont la raison n’est pas Ă©vidente, que l’intervalle d’une seule nuit augmente fortement la force des souvenirs… Â». Ainsi, « […] des Ă©lĂ©ments qui ne pouvaient ĂŞtre rappelĂ©s sur le moment, le sont facilement le jour suivant, et le temps lui-mĂŞme, qui est gĂ©nĂ©ralement considĂ©rĂ© comme une des causes de l’oubli, sert en dĂ©finitive Ă  renforcer la mĂ©moire Â».

Le temps, grand ennemi de la mémoire, la servirait donc pendant le sommeil.

En 1885, Hermann Ebbinghaus, pionnier de la recherche sur la mĂ©moire, formalisa cette observation : chaque heure passĂ©e Ă©veillĂ©e Ă©rode nos souvenirs, tandis que le sommeil les prĂ©serve. Depuis, une foule d’études ont montrĂ© l’effet bĂ©nĂ©fique du sommeil sur de nombreuses formes d’apprentissage. Cependant, si les scientifiques s’accordent sur les effets, les causes sont encore loin d’être « Ă©videntes Â» pour reprendre l’expression de Quintilien. Ces dernières annĂ©es, deux modèles ont Ă©mergĂ© pour comprendre le rĂ´le du sommeil dans la mĂ©moire.

Renforcer ou supprimer les mĂ©moires ?

Le premier, le modèle de « Consolidation Active Â», proposĂ© entre autres par Jan Born et Susan Diekelmann, fait l’hypothèse que les informations mĂ©morisĂ©es sont rejouĂ©es pendant le sommeil (replay) Ă  travers les rĂ©seaux de neurones qui servent Ă  les stocker. Cette rĂ©activation permettrait la consolidation des souvenirs grâce au renforcement des connexions entre neurones, et donc du rĂ©seau formant le substrat de la mĂ©moire. Durant cette rĂ©activation, les souvenirs seraient Ă©galement transfĂ©rĂ©s vers des espaces de stockage Ă  long terme.

Le second modèle offre une toute autre perspective. Selon l’hypothèse du « Rééquilibrage Synaptique Â», avancĂ©e par Chiara Cirelli et Giulio Tononi, le sommeil jouerait un rĂ´le essentiel dans l’équilibre du cerveau. En effet, ce dernier est un organe aux ressources et Ă  l’espace limitĂ©s, semblant pourtant bĂ©nĂ©ficier d’une capacitĂ© d’apprentissage illimitĂ©e. Il pourrait donc rapidement crouler sous le poids des souvenirs accumulĂ©s jour après jour. Le sommeil jouerait dès lors le rĂ´le essentiel de nettoyer le cerveau des souvenirs inutiles.

Oublier pour mieux se souvenir, comment est-ce possible ? Imaginez une plage sur laquelle s’enchevĂŞtreraient les traces, plus ou moins profondes, des personnes, animaux, oiseaux l’ayant parcourue. SuperposĂ©es les unes aux autres, ces traces sont indĂ©chiffrables. Imaginez maintenant que la marĂ©e monte, les vagues viennent recouvrir le sable. Une fois la marĂ©e basse revenue, les traces les plus tĂ©nues ont disparu, laissant voir, bien nettes, les traces les plus profondes ayant persistĂ©. De la mĂŞme manière, dans le cerveau, diminuer modĂ©rĂ©ment la force de tous les souvenirs permettrait d’effacer les plus tĂ©nus et de conserver les souvenirs les plus tenaces, qui n’en ressortiraient que mieux.

Deux faces d’une même pièce

Bien que ces deux modèles semblent se contredire (l’un propose que les souvenirs sont renforcĂ©s, l’autre qu’ils s’effacent), ils s’appuient tous deux sur de nombreux rĂ©sultats expĂ©rimentaux. Comment expliquer cette apparente contradiction ? Peut-ĂŞtre en admettant que les deux modèles ont tous deux raison ! Lisa Genzel et ses collègues ont en effet proposĂ© que les deux phĂ©nomènes pouvaient se produire mais dans des phases distinctes.

Dans une étude publiée récemment dans Nature Communications, Sid Kouider, Daniel Pressnitzer, Damien Léger et moi-même avons exploré comment le sommeil et ses différents stades affectent la mémoire chez l’homme. Pour cela, nous avons sondé la plasticité cérébrale (soit la capacité du cerveau à former de nouveaux souvenirs, ou remodeler des souvenirs existants) à travers l’apprentissage de nouveaux sons.

Ce que nos résultats montrent, c’est que le cerveau dormant peut former de nouveaux souvenirs dans certaines phases de sommeil, comme le sommeil paradoxal ou le sommeil lent léger. Plus surprenant, ces souvenirs semblent être effacés au fur et à mesure que le dormeur progresse vers le sommeil lent profond. Tant et si bien qu’au réveil, les performances des participants étaient moins bonnes que s’ils n’avaient jamais entendu ces sons.

Si l’on suppose que les mêmes mécanismes cérébraux peuvent agir dans la formation comme dans la consolidation de la mémoire, ces résultats fourniraient la première preuve expérimentale de la coexistence des phénomènes de renforcement et d’effacement de la mémoire, pendant le sommeil.

L’acĂ©tylcholine, un levier majeur ?

Structure de l’acétylcholine (ACh). Edgar181/Wikipedia

Mais comment s’articulerait la transition ? Notre hypothèse repose sur l’influence dĂ©cisive de l’acĂ©tylcholine, une molĂ©cule neuromodulatrice qui semble jouer un rĂ´le fondamental dans les mĂ©canismes de plasticitĂ© synaptique. Lorsque l’acĂ©tylcholine est fortement concentrĂ©e, elle promouvrait la formation de nouveaux souvenirs ou leur consolidation. En effet, chaque fois qu’un rĂ©seau de neurones est activĂ©, les connexions entre neurones s’en retrouvent renforcĂ©es. En revanche, quand la concentration en acĂ©tylcholine est basse, l’inverse semble se produire : quand un rĂ©seau est activĂ©, les connexions qui le soutiennent se dĂ©font ; quand une mĂ©moire est rejouĂ©e, elle en est d’autant effacĂ©e.

Or, l’acétylcholine est fortement concentrée à l’éveil et pendant le sommeil paradoxal. En sommeil lent profond, cette concentration diminue. Les variations dans la concentration de ce neurotransmetteur pourraient donc expliquer le rapport complexe entre sommeil et mémoire que nous avons indirectement mis en évidence. Néanmoins, dans notre étude, nous n’avons pu enregistrer directement la formation ou la suppression des synapses, ou la concentration en acétylcholine. Ceci demande des approches expérimentales invasives qui ne sont pas applicables à des sujets humains. Reste donc encore à tester notre modèle chez l’animal.

Et maintenant ?

En se basant sur nos travaux, nous proposons un modèle alliant des processus de consolidation active et de rééquilibrage. Ce modèle rend également compte d’une grande partie des résultats précédemment obtenus. Il s’insère enfin dans une approche évolutive. En effet, dans ce modèle, le sommeil lent profond assurerait une fonction universelle, celle de maintenir l’équilibre du cerveau. Or, cette phase particulière du sommeil se retrouve chez tous les animaux.

Hypnogramme. Petitemontagnedujura/Wikipedia, CC BY-SA

Le sommeil lent lĂ©ger, lui, est loin d’être universel : alors qu’il reprĂ©sente la moitiĂ© de nos nuits, il est quasi absent chez les rongeurs. De ce fait, il pourrait assurer une fonction moins essentielle (mais non moins importante) en permettant le renforcement sĂ©lectif des souvenirs les plus importants.

The ConversationMais comment ces souvenirs seraient-ils sĂ©lectionnĂ©s par le cerveau pour ĂŞtre rejouĂ©s et renforcĂ©s pendant le sommeil ? Il est possible que les souvenirs associĂ©s Ă  des Ă©motions fortes (joie, peur) ou Ă  des rĂ©compenses soient prĂ©fĂ©rentiellement rĂ©activĂ©s. NĂ©anmoins, la mĂ©canique de cette rĂ©activation des souvenirs reste encore largement inexplorĂ©e. Nos nuits renferment encore bien des mystères.

Thomas Andrillon, PhD, École Normale Supérieure (ENS)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Avec Mathieu Nedelec, chercheur en sciences, avec une expertise dans les domaines de la rĂ©cupĂ©ration et du sommeil, nous lirons vos rĂ©ponses avec attention et nous vous prĂ©viendrons de la publication d'articles ou l'organisation d'activitĂ©s susceptibles de vous aider Ă  rĂ©soudre vos problèmes de sommeil.

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